Zone franche urbaine : quel bilan à la Bastide ?

Mis en place en 1997, le dispositif, qui offre des avantages fiscaux et sociaux aux entreprises qui s’installent dans la zone, a largement contribué au développement économique du quartier. L’avenir s’annonce plus incertain.

Des bureaux sont encore à louer rue du commandant Cousteau. Mais les places se font chères.

« En 2001, notre chiffre d’affaires était de 400 000 €. Aujourd’hui, il est de 4,3 millions d’euros. » Michel Lauga est un homme heureux et le fait savoir. Sa société Mach3, qui distribue des scanners et des logiciels dans toute la France, affiche une santé de fer. Aujourd’hui, il emploie 10 personnes, alors qu’ils n’étaient que deux lors de la création. Née à Bordeaux, son entreprise, située dans le quartier de La Bastide, rue du commandant Cousteau, a prospéré et est désormais présente à Paris et à Toulouse. L’entrepreneur est installé rive droite depuis 2001. Et ce n’est pas pour profiter de la vue imprenable sur le Bordeaux XVIIIe que Michel Lauga est venu dans la zone industrielle, mais avec une idée bien précise : profiter des effets de la zone franche urbaine (ZFU). De quoi parle-t-on au juste ?

D’un dispositif qui permet aux entreprises de profiter d’avantages fiscaux et sociaux lorsqu’elles viennent s’installer dans une zone délimitée. En 1997, dans le cadre du pacte de relance pour la ville, la géographie urbaine s’est transformée. Des zones prioritaires, telles que les zones urbaines sensibles ou les zones franches urbaines  ont ainsi été définies au niveau national pour favoriser l’emploi dans certaines régions en difficulté.

80 entreprises en 1997, 280 aujourd’hui

Alain Juppé, maire de Bordeaux et Premier ministre à l’époque, a usé de tous ses pouvoirs pour que sa ville dispose d’une zone franche conséquente. Résultat, la ZFU des Hauts de Garonne-Bastide, qui couvre quatre communes (Bordeaux Bastide, Cenon, Floirac et Lormont) est aujourd’hui la plus grande des 100 qui existent actuellement en France, avec 850 hectares.

En 1997, à peine 80 entreprises peuplaient le quai de Brazza et ses rues alentours. Aujourd’hui, elles sont 280, principalement dans les secteurs de la construction, du transport et de l’entreposage. Territoire abandonné, la partie bordelaise de la zone franche urbaine* est aujourd’hui courtisée par tous les entrepreneurs en quête de foncier et d’avantages fiscaux. Jugez plutôt : exonération des charges sociales et patronales, de cotisations personnelles pour les artisans et commercants, de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de l’impôt sur les bénéfices, pendant cinq ans à taux plein, puis à taux dégressif, pour toutes les entreprises qui s’installent ou se créent dans la zone. Le package a de quoi séduire.

Catherine Grimard est complètement tombée sous le charme. En 2003, la gérante de la société ABCD, spécialisée dans la réparation de moteurs et de machines tournantes, a quitté son local vétuste des Chartrons pour 500 m2 rue Joseph Bonnet, juste derrière l’imprimerie Sud Ouest et les Moulins de Paris. « On voulait déménager mais on n’avait pas les moyens, juge t-elle. J’ai appris l’existence du dispositif, j’ai pris ma plus belle plume et à ma grande surprise, la réponse a été rapide et positive. A mon avis, la mairie était bien contente qu’on déguerpisse des Chartrons pour aller rive droite ! »

« Nous avons été vigilants pour que la délocalisation d’une entreprise permette un développement, un investissement, une création d’emplois. Le dispositif a été créé pour appuyer les entreprises dans leur développement. Mais l’objectif ultime, c’était l’emploi » explique le chargé de mission au développement des entreprises à la mairie de Bordeaux. Selon l’INSEE, le taux de chômage dans les deux ZUS de la rive droite est passé de 19 % en 1999 à 14 % en 2010.

Obligation de recruter dans une zone urbaine sensible

L’octroi des avantages fiscaux n’est pas un blanc-seing. Les entreprises doivent respecter des conditions, parmi lesquelles l’obligation de recruter un salarié sur deux dans la zone urbaine sensible. Lors de la création de la zone franche, la condition était bien plus drastique puisque le salarié devait être recruté dans la zone franche, c’est-à-dire sur le lieu d’activité et non dans une zone urbaine sensible (ZUS). Depuis 2004, le dispositif a été allégé et le salarié peut être recruté dans n’importe quelle ZUS, qu’il habite Bacalan, les Aubiers, Saint-Michel, etc.

Malgré cet assouplissement, certaines entreprises peinent encore à recruter localement. La Construction navale de Bordeaux prospecte pour recruter des peintres ou des électriciens spécialisés.

De nouveau prorogé en 2011, le système de ZFU s‘essouffle depuis quelques années, après des débuts tonitruants. En 2005, 234 entreprises employaient 2200 salariés à la Bastide. Fin 2010, 280 entreprises tournaient grâce à 2100 salariés. 50 entreprises de plus… pour 100 salariés de moins.

« Les entreprises qui se créent sont des petites structures avec quelques salariés. Celles qui se développent ont parfois été contraintes à se délocaliser, notamment sur Bordeaux Nord, par manque de disponibilité de foncier. Les grosses entreprises sont remplacées par des plus petites » observe la direction du développement économique.

« Il va y avoir de la perte »

Le revers de la médaille comme on dit. Pays de cocagne pendant dix petites années, le secteur de la Bastide, qui ne comprend que 90 hectares, est complètement saturé. Les services de la mairie reçoivent encore régulièrement des demandes d’installation, auxquelles elles sont obligées de répondre par la négative.

« Rapidement, il n’y avait plus un mètre carré disponible. Très vite, on a su qu’il allait y avoir un pont. Il était urgent de ne rien faire, juge le chargé de mission. Sans ça, des promoteurs auraient pu venir et d’autres sociétés auraient pu s’installer. On a gelé l’espace car il y avait le pont et il fallait qu’il puisse déboucher sur quelque chose. »

La tendance est même en train de s’inverser. Après avoir incité pendant quinze ans les entreprises à venir s’installer, les pouvoirs publics verraient d’un bon oeil quelques départs volontaires… ou forcés.

Dans le cadre du projet Bordeaux 2030, la mairie souhaite urbaniser le quartier de la Bastide, et particulièrement les quais de Brazza. Aujourd’hui terre industrielle, ils devront demain laisser plus de place au logement, aux espaces verts et aux services publics. L’objectif est simple : constituer un hyper-centre à Bordeaux.

« Il faut trouver une solution pour les entreprises locataires. Toutes ne pourront pas rester et devront aller un peu plus loin car les prix seront trop élevés, prévoit-on à la direction du développement économique. L’objectif, c’est de garder le maximum d’entreprises. Il va y avoir de la perte. Il y a une donnée qu’on ne maîtrise pas, c’est le projet de chacune. Il y en a qui n’ont plus d’intérêt à être en zone franche. Il faut regarder chaque entreprise et faire attention à ne pas mettre en difficulté des modèles économiques. La délocalisation, à Bordeaux Nord par exemple, ça va représenter un coût. Les discussions avec les entreprises ont commencé.” Difficile à dire, d’ici 2030, si le dispositif de la zone franche aura toujours droit de cité rive droite.

Anthony Jolly / Bastide Brazza Blog

*Comme le laisse entendre son intitulé, Bastide Brazza Blog traite du quartier de la Bastide. Ce sont donc uniquement les effets de la ZFU sur la partie bastidienne qui sont ici analysés.

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