Il y a plus de 50 ans, la Bastide voyait naître la boisson qui allait bercer des générations d’enfants : le Cacolac. Nous avons tenté de retracer l’histoire de la petite bouteille de lait.
Chacun le sait, toute invention a son inventeur. Cacolac n’échappe pas à la règle. La boisson au lait chocolaté doit son succès à un entrepreneur qui lui aura tout consacré : Charles Lanneluc. L’homme a disparu il y a une quinzaine d’années, mais le nom des Lanneluc, lui, a perduré.
Dans une petite rue de la Bastide, une porte s’ouvre. C’est celle de Jeanne, la veuve du co-fondateur de la marque.
Sa mère lui avait pourtant bien dit de ne pas épouser un laitier, comme elle. Mais Jeannette n’en a fait qu’à sa tête. En 1946, elle se marie avec Charles, le petit producteur de lait de la Bastide avec qui elle aura deux enfants. Un jour de 1954, elle le voit partir pour la Hollande. Quand il revient, Charles ramène dans ses valises une recette inédite en France : le lait chocolaté. Le Cacolac est né, et plus rien ne sera comme avant.
Des enfants comme cobayes
Quand on rencontre Jeanne, 92 ans aujourd’hui, bons et mauvais souvenirs se mêlent, comme le lait demi-écrémé et le cacao Van Houten de la formule originelle. « Il était plus souvent avec ses ouvriers qu’à la maison », bougonne Jeannette. Celui qu’on appelait « Monsieur Charles » donnait tout à son entreprise, et peut-être un peu trop au goût de ses associés, les Lauseig.
Coup de téléphone au fils de Charles, Yves, qui confirme : « Ce qui intéressait mon père avant tout, c’était la production. Il avait tendance à réinvestir la majorité des bénéfices (pas tous non plus, Charles aimait aussi les bateaux de plaisance) dans les nouvelles machines. Personne ne s’est véritablement enrichi sur Cacolac. » Ce qui n’aurait pas forcément plu à la famille Lauseig… Les deux dynasties se sont séparées en des termes quelque peu tendus au début des années 1970, quand Charles a vendu ses parts de la société. Aujourd’hui, tous les pères fondateurs sont décédés. Et malheureusement, les fantômes ne peuvent témoigner.
Chez Jeanne, il y a aussi Eléonore, fille de Yves et petite-fille de Charles. Aucune ne nous propose de Cacolac. Peut-être en a t-on trop bu chez les Lanneluc ? Éléonore, en vacances chez ses grands-parents, était biberonée au lait-cacao. « Ce n’était pas trois bouteilles dans le frigo, mais des palettes entières dans le garage ! », se souvient-elle. Quand il était gamin, son père, Yves, servait de cobaye pour les recettes test d’éventuels nouveaux produits : vanille, caramel, pistache… « Toutes n’étaient pas de bonnes idées ».
Absorbé par le passé
Sévère, mais charismatique, Monsieur Charles aurait été un bon patron, respecté de ses hommes, au nombre de 250 à la grande époque. Jeannette nous indique le fond de la rue de la Benauge, où la petite laiterie créée en 1947 par les associés s’est transformée en une société au monopole incontestable en France.
Que reste-t-il donc du grand site d’antan qui, avec sa haute tour de stérilisation et son logo géant, se voyait depuis la voie ferrée ? Rien. Si ce n’est un terrain en friche et un demi mur crasseux en guise de clôture.
En 2001, les propriétaires de l’entreprise ont quitté l’usine de la Bastide, devenue trop vétuste, pour s’installer plus au sud de Bordeaux, à Léognan. Le champ de la Benauge est redevenu champ. Il ne manque que les vaches à l’origine de Cacolac, la boisson qui après s’être fait connaître avec ses camionnettes itinérantes, sera proposée, pendant un temps, sur les cartes de tous les bars et cafés de France.
Plus de vestiges donc. L’enquête sur le terrain se présente mal. Comme si Cacolac avait été absorbé par le passé. Mais si l’usine n’est plus là, les souvenirs, eux, n’ont pas pu disparaître.
Sur le terrain de pétanque de la Benauge, nous partons à la recherche des anciens du quartier. Mauvaise nouvelle : les employés de l’usine Cacolac seraient tous morts ou partis vivre ailleurs. Nous voilà fanny. La Bastide semble avoir tourné la page sur la boisson préférée de JPP.
« Mais le Cacolac, ça n’existe plus ? »
Déprimés, nous reprenons un peu d’espoir en retrouvant sur Internet un slogan d’antan : « On est tous d’attaque pour un Cacolac ». Direction les magasins de produits vintage de Bordeaux, en quête de collectionneurs acharnés.
Au Dénicheur, Au Bazar de Béru, la réponse est la même : « Notre offre est très restreinte sur la marque car la demande l’est aussi. » Seulement trois bols par-ci et six verres par-là se courent après sur les rayons des brocantes.
De mémoire de vendeuses, aucun Cacolac-addict, pas même un nostalgique, ne s’est rendu dans ces boutiques au cours des derniers mois. Question pour question, la commerçante nous en pose une qui sonne comme un uppercut : « Mais d’ailleurs, la marque Cacolac, ça n’existe plus ? » Aïe.
Cacoliker, un état d’esprit.
Et pourtant, la marque existe toujours, si. Et elle compte même pas mal de fans. En retournant sur Internet à la recherche des mythiques campagnes publicitaires (aux paroles parfois incompréhensibles) des années 1980, âge d’or de la société, nous sommes tombés sur une espèce d’hommes un peu particuliers : les Cacolikers.
Ces amateurs de lait et de Hip-Hop, comme le laisse entendre le site de la marque, sont plus de 250 000 à avoir « liké » la page officielle du produit sur Facebook. En toute liberté, les Cacolikers détournent des bandes-annonces et crient haut et fort leur amour du lait chocolaté.
Cet attachement à la boisson bastidienne symbole de toute une génération, le nouveau propriétaire l’a bien compris et cherche sans cesse à rajeunir l’image de son produit. A 58 ans, Cacolac reste une boisson d’enfants.









J’étais le peintre de la famille LANNELUC pendant plus de 20 ans, à la suite de mon père et de mon grand père, c’est à dire 3 générations de peintres. Je suis très émus de voir sur votre reportage jeannette que je n’ai pas revue depuis 11 ans (date de mon départ à la retraite). Je vais profiter de l’occasion pour reprendre contact avec elle, et parler de nos souvenirs communs.
C’étaient des gens d’une grande simplicité, et d’une grande gentillesse, nos rapports étaient plus près de l’amitié que des rapports de client à artisan après 60 ans de coopération.
L’aventure de la famille LANNELUC fait partie d’une grande partie de ma vie passée.
Un grand bravo pour votre reportage, bien documenté, et très émouvant pour moi, et qui fera savoir que la marque CACOLAC existe toujours.
Reportage sympa sur cette marque qui a encore un très beau potentiel devant elle. Bonjour à Christian ABADIE, j’ai passé des heures à le regarder peindre quand j’étais môme, artisan hors norme qui titillait ma fibre de bricoleur naissante.
Une petite précision concernant le « luxe » du voilier de mon père qu’il avait baptisé « Bonloleau »… c’était un vieux bateau en bois tout déglingué, acheté une poignée de vieux francs, nécessitant de longs mois d’entretien et de réparation pour quelques semaines de navigation estivale sur le bassin d’Arcachon.
Une petite pensée pour les frères de Charles, soit Roger, et Albert mon grand père , je crois que CACOLAC c’était une famille!!
bises
Rosemary
Hé bien, cela fait plaisir, ce genre de retrouvailles! Je suis la petite fille d’Albert Pierre, frère aîné de Charles Lanneluc, et la fille d’Yvette. Ma soeur Rosemary est tombée sur ce Blog… Ca sent donc les cousins…. J’ai vécu au 209 rue de la Benauge, à côté de mes grands-parents Jeanne et Albert au 207, traversant la cour du 205 et une partie de la Laiterie en rentrant de l’école. j’allais embrasser mon père, Alban Téchoueyres, dans un des bureaux du 201 ou 203; taquiner Mme Veyrier lorsqu’elle y faisait le ménage; mon oncle Guy et ma mère dans les bureaux principaux. Je me souviens bien aussi de mon grand oncle Charles, avec son beau stylo à encre qui me fascinait. Bref, de bons souvenirs de notre vie dans le quartier. J’ai d’ailleurs récemment réalisé une interview de mon oncle Guy et examiné les quelques archives de Cacolac et de la Laiterie de la Benauge qu’il nous reste.
à suivre!
Reportage effectivement sympathique mais il convient de rectifier l’origine exacte du fameux produit CACOLAC.
En 1950 mon grand père Albert LANNELUC frère de Charles organise un voyage en Hollande et Belgique pour son fils Guy LANNELUC (mon père), Robert LAUSEIG et Gaston MOREINAUD. C’est a l’issu de ce voyage de recherche qu’Albert co-gérant de la laiterie de la Benauge étudie et lance le fameux brevet CACOLAC.
Mes cousines Isabelle et Rosemarie filles d’Yvette LANNELUC (soeur de mon père) et moi même sommes à votre entière disposition pour vous communiquer les précisons nécessaires concernant le produit CACOLAC.
Encore moi, car je voudrais rectifier certaines infos erronées qui circulent au sujet de la paternité de l’entreprise et la marque Cacolac. Voici donc l’histoire, la vraie:
Origine de la Laiterie de la Benauge.
Maison fondée en 1860 par Mme Bacquey, mère de Marie Duprat, dont le troupeau pacageait à l’emplacement de la cité Pinçon. Vers 1890, le gendre, Dominique Lanneluc installe les premières chaudières au bain-marie, cuisant 300l de lait à l’heure. Vers 1910, à l’aide d’une des premières écrémeuses centrifuges de la région, il commence à mieux valoriser les laits d’excédent, précédemment écrémés dans des bassines avec une assiette.
En 1924, Desclaud installe le 1er pasteurisateur parabolique d’un débit de 1000l/h, avec refroidissement à eau et saumure, et la 1ère machine frigorifique.
13 janvier 1928, fondation de la SARL Laiterie de la Benauge, D.Lanneluc et fils.
1932, mise en fonctionnement d’un pasteurisateur de 2000l/h de débit (à l’abri de l’air).
Le 01/06/1933, D.Lanneluc prend sa retraite et partage ses parts entre ses 4 fils.
1938, une partie du lait est mise en bouteilles avec une installation semi-automatique de 2000l/h
15/12/1938, création SARL Laiterie de la Benauge, Lanneluc Frères.
Pendant l’occupation, transport du lait des départements voisins.
1944, augmentation des parts de chacun, Albert et Roger détenant le plus de parts de manière égale.
Libération, reprise de la mise en bouteilles des laits de l’agglomération bordelaise. Et développement des petits suisses, yaourts, beurre, caséine.
14 janvier 1947, la Laiterie H.Lauseig de Pompignac est absorbée par La Laiterie de la Benauge : SARL Lanneluc Frères et Lauseig réunis, avec Albert et Roger Lanneluc et Robert Charles Lauseig pour gérants.
1954, création du lait stérilisé Stabilait et du Cacolac
9/02/1956, transformation de la SARL en SA, Albert et Charles détenant chacun le plus de parts.
Le pasteurisateur débite 7000l/h ; il y a deux chaines d’embouteillage et 4 compresseurs frigorifiques en fonction. Une fabrique de glace fournit ramasseurs et producteurs pour constituer le premier maillon de la chaine du froid. Le laboratoire de la laiterie contrôle les fabrications. 120 employés et 30 véhicules. Charles est PDG ; Albert, Roger et Robert Lauseig sont administrateurs délégués.
1970, la famille Lauseig devient majoritaire, car Albert, Guy et Yvette ont vendu leurs parts. La société devient Cacolac SA.
La partie « desserts lactée » est rachetée par Chambourcy (frères Benoit, de Marseille)
199 ?, Chambourcy est repris par Nestlé
1998, Nestlé vend l’usine de Carbon Blanc à J-L Aubagnac qui crée Carbon-Blanc SA.
2002, liquidation judiciaire de l’usine Chambourcy avec le licenciement de 273 employés.
Par ailleurs, je voudrais aussi saluer M.Abadie, le peintre, dont j’ai connu, sans doute le grand-père (début des années 60), qui venait aussi faire des travaux chez mes grands parents Albert et Jeanne au 207 rue de la Benauge; j’ai aussi passé des heures à le regarder, tout de blanc vêtu; je me souviens aussi de l’odeur du chalumeau qui décapé la vieille couche…